série noire 2 

 



C’est le mauvais moment de l’année, la mauvaise heure, Julie n’aime pas cette fin d’automne. Les magasins de la rue Claude Guéant sont déjà fermés, leurs lourds rideaux métalliques  baissés. Le trajet dans le bus qui vient de la déposer a été un supplice : il n’y a jamais personne  à cette heure et son cœur  s’affole à chaque arrêt: qui va monter ? C’est surtout les bandes de jeunes à cagoules qui lui font peur et encore plus les hommes au regard vide. On entend dire tant de choses ! Ensuite, c’est pire, il lui faut longer sur 300 mètres les  immeubles  de l’avenue Brice Hortefeux, une éternité. C’est le quartier résidentiel le  plus chic  de la ville, mais par souci d’économie, les écolos de la municipalité ont changé l’éclairage et on n’y voit plus rien. Il faudra leur écrire, mais elle n’a jamais le temps. L’avenue est toujours déserte. Enfin Julie arrive au 76, un bâtiment plus petit, en retrait.  En tremblant, elle fait  le code qui déverrouille le portail d’entrée, toujours la peur de se tromper, le petit jardin à traverser, trop sombre, il faudra écrire aussi au syndic, poser la question à l’assemblée générale des copropriétaires, compliqué d’avoir la majorité, chacun pour soi.  Reste l’ascenseur à appeler, à attendre, un grand moment de panique quand la porte s’ouvre :  qui derrière ? Personne. A l’étage? Personne. Enfin, au bout du couloir, home, sweet home, Julie est chez elle, elle peut respirer.

 

C’est leur rituel, elle appuie sur le bouton de la sonnette, une seule fois, puis tourne la clef. Elle pousse la porte. Comme toujours, le plafonnier est allumé et elle entend  la symphonie de Mahler, aujourd’hui c’est la 6ème. C'est un un peu fort, il faudra baisser le son pour les voisins. Elle range son manteau dans la penderie murale, traverse le hall. Comme toujours, Tom, son mari l’attend au salon, comme toujours il se lève en la voyant entrer. D’habitude il sourit, mais ce soir, elle ne sait pas trop : curieusement,  il s’est coiffé de son bonnet de bain et ses yeux sont cachés par ses lunettes de plongée. Il porte aussi une longue blouse  de nylon bleu qu'elle n'a jamais vue, des gants Mapa et  il a entouré ses pieds de petits sacs poubelle gris. L’accoutrement est saisissant.  Pour une surprise, c’est une surprise qu’il lui fait, lui si sérieux, si casanier !   Et  elle rit encore  lorsque, comme chaque soir, il s’approche d'elle pour la serrer dans ses bras – Mais ce n’est pas carnaval, Tom, mon amour chéri ! Qu’est-ce qui te prend ?

 


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