Michon est à la littérature ce que le golf ou le polo sont aux sports. Les pratiquer vous tire vers le haut. A l’inverse, comme la pétanque ou le vélo, les scolaires Hugo et Balzac, et maintenant Maupassant, trop vu à la télé, ne vous apportent aucune valeur sociale et culturelle ajoutée (VSCA).

S’il est assez aisé de placer Proust ou Deleuze entre poire et fromage de telle sorte qu’ils s’inscrivent dans l’ordre naturel des choses, donc à leur juste place, entre la pâte molle d’un livarot, la tendresse sucrée du fruit, le rire de la jeune fille assise tout au bout de la table et l’âge du capitaine, avec Michon, c’est une autre paire de manches…

Mais le lettré est malin et sa  culture, la vraie, toujours une ruse.

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L'histoire véridique du livre de Pierre Michon lu en altitude dans le Parc des Ecrins.

« J’étais l’analphabète esseulé au pied d’un Olympe où tous les autres, Grands Auteurs et Lecteurs difficiles, lisaient et forgeaient en se jouant d’inégalables pages ; et la langue divine était interdite à mon sabir. »  Pierre Michon. (Vies minuscules)

J’emportai « Les onze »* de Michon lors d’une course en montagne avec l’intention d’en finir. Au refuge des Bans d’où partent tôt le matin les alpinistes, j’attaquerai le chapitre II.

Une première tentative au refuge du Sélé avait échoué. L’accès sur la fin y est difficile bien que sécurisé  par des cordes. Qu’il faut tenir fermement. J’avais laissé le livre de chez Verdier dans le sac à dos près du thermo qui tient l’eau citronnée fraîche, des sandwichs jambon cru rillettes fromage tomate  et du blouson Gore-Tex en cas de pluie, de vent, on ne sait jamais, Monsieur, le temps change si vite. J’arrivai au Sélé épuisé, il fallait repartir.

Le refuge des Bans, lui, est une promenade des familles (cotation 1)  encombré et bruyant, avec un espace autour exigu. 

Je m’en écarte donc un peu avant  sur la gauche direction le fond de la vallée étroite qui suit le torrent et monte vers un glacier par un sentier d’alpiniste à peine marqué pour m’asseoir enfin tranquille un peu suant quand même de l’effort sur une pierre presque plate où je peux lire. J’éloigne sur mon nez les lunettes de soleil qui n’ont pas de verres progressifs pour avoir une vision de près confortable,  met mon chapeau. Tout est OK. J’ouvre le Michon à la page 25 avec ce sentiment dont je tire une certaine gloire  d’être alors son unique lecteur. Qui lit ainsi Michon ?  Je constaterai que l’altitude  a peu d’effet sur la compréhension du texte.  Je lirai et je relirai. Au niveau de la mer, à 2256 mètres, sans doute à 5000, je reste dans le mystère Michon. Ici posé dans l’éboulis ce roman est une pierre orange.

 Des pensées sottes, mais d’un degré élevé de beaufitude,  me traverseront la tête  « Qu’importe le Michon pourvu qu’on ait l’ivresse ! » « Et que vaut le Michon entre 2 tranches de pain sans son Fleury ? »

J’avancerai  mes  pauvres phrases envieuses contre les siennes. Quelle marmotte dans sa mémoire de neige fera la différence ?
 
Et pourtant :

« Il était né on le sait à Combleux en 1730.
C’est tout près d’Orléans en amont, dont on voit les clochers ; ça baigne doucement sur deux bras de la Loire. Là-dessus ces ciels français, poussiniens, qu’il peignit peu, et d’un clocher à l’autre quand on suit la levée le long du fleuve, ces îles, ces saules, ces joncs, où on aurait aimé se cacher étant petit, et des vols soudains d’oiseaux. »

Je regarde les sommets. Peu d’hommes les gravissent.


 *Pierre Michon, Les Onze (Verdier) 
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