Les Verts sont éternels
Publié le 13 Août 2014
En silence j’avais pleuré toutes les larmes de mon corps. J’étais inconsolable. Inconsolable je suis resté. Parfois je me dis que ma vie débutera vraiment lorsque les verts deviendront champions d’Europe.
Laurent Sagalovitsch, « Loin de quoi ? » (Actes Sud)
Les jours de derby, il faut trouver sa place. L’usine d’en face crache sa fumée ocre. Des ouvriers sont aux fenêtres, d’autres même sur le toit. La tension est extrême. Dans les tribunes, personne n’est assis. Les joueurs, on les enverra à la mine s’ils ne savent pas jouer. En équilibre sur un pied, mon père me porte sur ses épaules. J'ai très peur de tomber et surtout d’étouffer si je reviens sur terre.
Pour les matchs ordinaires, le dimanche après-midi, à la mi-temps, comme il n'y a pas foule, on change de place pour rester près des avants.On est sûr, ils vont marquer! Curieusement, dans les tribunes latérales, c’est assis sur les marches des escaliers qu’on voit le mieux. Ailleurs, des places numérotées, qui valent quand même une petite fortune, les piliers en béton masquent une partie du but opposé. Il faut se tordre le cou pour suivre le jeu dans la surface de réparation. Mon père qui a fait tout seul les plans de sa cabane de pêcheur au bord de la Dunières est furieux. Il dit que tous les architectes sont des incapables.
Après le match, on prend le bus qui nous laisse à Dorian. C’est la fin de l’automne, Place du Peuple, près du café Rizzi, il y a une petite locomotive noire où grillent les marrons. Mon père marche vite. Je cours derrière en me brûlant les doigts dans le cornet.
On arrivera à temps. L’émission de Serge, l’historien du cirque se termine. On écoute à la radio tous les résultats sportifs du dimanche. Et on les commente.
Et puis, et puis, le temps a passé…
Il y a eu Rocheteau l’ange vert, le petit dribleur hollandais Rijvers surnommé ” trottinette “, Njo Léa le fantasque, Mekhloufi l’élégant, les frères Tylinski, le grand Ferrier qui ensuite acheta un bar à La Ricamarie ou au Chambon, l’arrière Wicart, le capitaine Domingo que je croisais à la boulangerie vers Badouillère, le gardien Abbes, sa doublure Ferrière, et aussi, jouant au centre, De Cecco. Il y eut les improbables N’Doumbé, Baulu, Zimako qui se perdirent souvent dans les brumes du poteau de corner, le génial Keita, Janvion l’intraitable, Lopez le rigoureux, l’ordonné Curkovic, Bosquier et Piazza les flamboyants, Carnus le discret, Triantafilos dit ” Tintin “, l’opportuniste, Rep le chanteur, Alex le dilettante, Le grand Castanéda.
Et puis et puis…
Le foot à la radio, c’est mieux qu’à la télé. Comme si le temps n’avait pas prise. Les soirs de match, je reste aux aguets. Une voix dans la nuit ” Ici le stade Geoffroy Guichard à St Etienne… “. Mon cœur bat plus vite. Ont-ils marqué? Les Verts sont éternels.