Fashion victim
Publié le 22 Juin 2011
« Dans un léger sifflement, elle glissa sur le tremplin, s’envola, resta
suspendue sur les airs, crucifiée. Et puis… »
Vladimir Nabokov « La Vénitienne et autres nouvelles » Gallimard (1990)
Ce sport n’était pas de son monde. Il détestait les foules braillardes et bigarrées massées sur le bas-côté des routes, parfois menaçantes jusqu’à l’étouffer. Il s’était même toujours retenu dans l’ascension des cols, où pourtant il excellait, par peur de porter l’affreux maillot blanc à pois rouges du meilleur grimpeur. Il avait su éviter le journaliste gnome de la télévision qui posait juste après l’arrivée des questions stupides aux coureurs ridicules dans leurs habits de clown. Mais aujourd’hui il faisait la course en tête. Il avait ignoré les conseils de son directeur sportif et découragé dans la montée, par ses accélérations successives, les petits colombiens et les maigres espagnols. Il était passé seul au sommet, s’était jeté dans la descente sans prendre la précaution de se protéger du froid avec une feuille de journal glissée entre maillot et poitrine. Il avait reconnu l’étape au début du printemps, il savait que là, au bout de cette ligne droite, il y avait un virage serré et qu’il lui fallait impérativement ralentir pour le passer. Il sourit, il ne porterait jamais l’horrible maillot. Il releva la tête, respira un grand coup. On le vit voler un instant dans les airs, le buste droit, les bras ouverts, comme s’il fêtait une victoire.