La machine

Publié le 16 Mars 2016

 

Dis, tu l'installes quand la machine?

Il a pris ce ton geignard qui agace ... Je lui réponds que pas tout de suite, que pour le moment je n'ai pas le temps, qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, qu'il faut lire la notice, que je ferai ça à tête reposée.

Il insiste, tu sais que c'est important pour moi cette machine! Maintenant, il pleurniche. C'est insupportable! Et pourquoi, en plus, il appelle toute chose, une machine!

Oui, oui, je te dis que je vais m'en occuper! Mais il n'y a pas que toi dans la vie! J'ai d'autres choses à faire! Tu peux bien attendre un peu! Tu n'es plus un enfant!

Il sanglote. J'ai soudain envie de le frapper. Je préfère sortir. En claquant la porte.

Dehors l'air est doux, c'est le début du printemps. Sur le boulevard, les gens se sont installés aux terrasses des cafés. Les femmes ont mis leurs tenues légères. Je les trouve belles. Je respire. Ma colère est tombée. J'ai tort de m'énerver. Tout ça ne me prendra que quelques minutes, je n'ai même pas besoin de lire la notice. Pour lui c'est important et pour moi c'est rien, à peine un petit quart d'heure.

Quatre à quatre je monte l'escalier. Je n'aurais jamais du lui parler comme ça. Je vais m'excuser, l'embrasser, lui dire que je l'aime. Je savoure d'avance le plaisir que je vais lui faire.

Il ne tourne pas la tête lorsque j'entre dans le salon. Il est, comme je l'ai laissé, assis dans un des fauteuils, mais immobile, endormi. Mort.

Je me laisse tomber à côté de lui sur l'autre fauteuil. Triste, plein de remords, anéanti aussi par toutes les formalités à faire et tous les papiers qu'il va me falloir remplir. J'essaie de chasser ces idées honteuses qui me passent par la tête comme : ce n'est pas encore demain la veille que je vais pouvoir aller me balader tranquille sur le boulevard et m'installer à la terrasse d'un café pour voir passer les filles. Que n'est-il mort en hiver!

Pour le salut de mon âme, il faut absolument que je me concentre sur ma peine. Uniquement sur ma douleur. Que je sois pleinement le fils éploré qui vient de perdre son père. Impossible! Devant moi, posé sur le sol, il y a le colis livré par Amazon, à peine ouvert lors de la vérification d'usage. Et me trotte dans la tête cette question infâme qui me conduira droit en enfer, sur leboncoin, combien vais-je bien pouvoir tirer de cette" machine" qui n'a jamais servi?

 

Rédigé par Emile Gillmo

Publié dans #Petites histoires

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