La tentation d'une île

Publié le 20 Janvier 2015

Les Voyageurs. Bruno Catalano (Galerie Médicis, 2014)

Sable fin, palmiers, flots bleus, soleil. Tout est beau ici. Mon île ! On peut y vivre en Robinson peinard ! Inhabité, ce petit paradis... Et, parce qu’inhabité, un petit paradis. Surtout ne me demandez pas pourquoi, ni comment, un jour, j’ai débarqué ici !

J’ai construit ma hutte, cultivé mon jardin, organisé ma vie sur la course du soleil. Et je ne m’ennuie pas, tant les tâches quotidiennes sur une île sont prenantes. Quand j’ai un petit moment à moi, j’écris mes lettres, je les mets en bouteille et les bouteilles à la mer. J'écris "Ami, toi qui me lis, surtout ne cherche pas à savoir où je suis !"

C’est absurde de vouloir se rappeler au bon souvenir des gens en leur demandant qu’ils vous oublient ! Je le sais, mais c’est ainsi.

Tous les soirs avant que la nuit tombe, je fais le tour de l’île dans le sens des aiguilles d’une montre. Il me faut environ une heure (je n’ai plus de montre). Et le matin je recommence, mais en sens inverse. Tout est différent. L’océan est à ma droite. C’est la supériorité des hommes sur les astres que de pouvoir choisir, dans une certaine mesure, le sens dans lequel ils tournent.

Je n’ai jamais mis les pieds au centre de mon île : à ce que j’en vois de loin, c’est une modeste colline d’herbes folles avec de gros rochers blancs et quelques arbres exotiques. Ce qui ne veut rien dire. Pour moi, tous les arbres sont exotiques. Je tiens à garder à l’île sa part de mystère. Ou peut-être ai-je peur en montant sur le point culminant d’avoir une vue d’ensemble de mon territoire et de prendre conscience de ses limites? La côte est où j'ai construit ma hutte doit être si proche de la côte ouest que je pourrais faire, en prenant ce raccourci, l’économie de mon tour quotidien pour aller voir le coucher du soleil. Mais je n’ai plus envie de prendre les raccourcis, de gagner du temps. J’aime désormais les détours, les circonférences.

Un jour, un vendredi après-midi, un homme abordera ces rivages. J’ai toujours appréhendé les week-ends. Je suis moi-même arrivé ici un vendredi.

L’accueillerai-je avec un collier  de fleurs fraîchement coupées comme celles que je pose chaque matin sur la modeste tombe  de l'homme qui m'avait accueilli ? Ou d'un coup de bambou ? Je ne sais encore. J’hésite.

 

Rédigé par Emile Gillmo

Publié dans #Voyages

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