Cache-cache

Publié le 3 Avril 2012

 

 

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C’était son jeu préféré. Quand elle lui tournait le dos pour préparer son goûter, il courait au salon.  Avec ses volets toujours mi-clos, la pièce restait  dans la pénombre. Cela faisait bien longtemps qu’elle n'était plus utilisée que comme un débarras. Il ouvrait un peu la porte de la grande armoire où étaient suspendus à des cintres en bois des vieux manteaux, des tabliers  et des gabardines. Puis, il se cachait sous la grande table en chêne, protégé des regards par le long rabat de la nappe, et il appelait, Tatan Tatan, viens vite voir ! Elle arrivait lentement, appuyée sur sa canne, ouvrait grand la porte de l’armoire,  soulevait une manche de gabardine. Où es-tu ?  Mais où es-tu ? Lui,  accroupi, mettait une main sur sa bouche pour étouffer son rire.  Elle quittait le salon pour continuer sa recherche dans la chambre voisine en maugréant, mais où a-t-il bien pu passer ?  Alors il se relevait et regagnait à toute vitesse, sans bruit, la cuisine. Elle le retrouvait sagement assis, les deux coudes sur la table, la tête entre les mains, absorbé dans la lecture du journal du jour.  Il n’avait que 7 ans et  venait juste d’apprendre à lire. Elle s’étonnait, mais où étais-tu passé ? Lui prenait son temps pour relever la tête, la regardait avec ses petits yeux plissés, comme courroucé qu’elle osât le déranger dans une aussi sérieuse lecture. Mais Tatan, tu vois bien, je lis, je n’ai pas bougé d’ici,  répondait-il sur un ton de reproche. Elle le regardait, attendrie, tu dois avoir faim ? Alors, elle posait sur la table devant lui, le chocolat fumant, le pain d’épice, le beurre, les biscuits secs, les confitures,  puis, l’âme en paix, s’asseyait pour le regarder manger. C’était son bonheur de la semaine. Quand il partait, elle disait toujours, attends, attends, ne t’en vas pas si vite ! Elle prenait sur l’étagère la boîte en fer  où elle mettait ses économies et lui glissait dans la main une pièce, tiens, c’est pour toi, fais-en ce que t’en veux, ne le dis à personne, et surtout pas à tes parents, je me ferais gronder !

 

   

 


Rédigé par Emile Gillmo

Publié dans #Chroniques

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