Vœux de crise
Elle s’avance, avec son sourire enfariné de dame patronnesse,
– Et qu’est-ce qu’il faut vous souhaiter, mon pauvre Monsieur, pour cette nouvelle année ?
Je frotte le pouce et l’index à hauteur de son visage,
- De l’argent, Madame, beaucoup d’argent, du flouze, du pèze, du blé, de la thune, vous comprenez ?
Elle recule, offusquée, et c’est le cri du cœur,
- Oh non ! On peut pas souhaiter ça, Monsieur, quand même !
Fast-faith
Dans mon village la messe de minuit est passée à 22 heures.
- C’est une belle avancée, un gain de temps, disent les fidèles unanimes.
Le curé argumente, lui, que, question marketing, le concept « gain de temps » est plus porteur aujourd’hui que celui de « vie éternelle ». Des
mauvais esprits font remarquer, en se marrant, que l’église se soumet un peu facilement aux lois du marché, et que bientôt, si ça continue, on vendra dans les fast-food des plateaux « Eucharistie
» tout compris, avec hostie-burger, coca-cola light et nespresso.
Melilem
(à Dino Buzzati)
Rien ne ressemble à Mélilem, ce village aux confins des déserts.
Il apprit l’attente interminable du désir des autres, ce goût de solitude.
Décrire le lent cheminement des morts vers la vie.
L’ombre portée sur la nuit, parfois cette absence de nuit qui n’est pas la lumière.
Mélilem, chant des êtres oubliés, silence glaçant des souvenirs non partagés.
Mélilem, village miroir au reflet brisé.
Télé-réalité
C’était après le repas du soir, un vendredi, en direct, à une heure de grande écoute, la Voix me demanda de révéler mon secret. Le groupe, tout excité, se déplaça vers le coin salon. Je restai debout. Quand j’ai dit que j’étais tueur à gage, ils ont éclaté de rire. Il y a une manière de dire la vérité qui fait qu’on ne vous croit pas et c’est assez pratique, une sorte de mensonge inversé, un « vous voyez, je vous l’avais bien dit, mais vous ne m’avez pas cru ! » qui rejette la culpabilité sur l’autre.
Jouant le jeu, ils m’ont demandé sur qui était le contrat. Je m’avançai vers Kevin sagement assis sur le pouf jaune où la Voix lui avait demandé de s’asseoir. Je me penchai et appuyai l’index sur sa poitrine, - Lui, bien sûr.
Le reste du groupe, soulagé, rit encore plus fort et quelqu’un dit :
-Mais qui veut sa mort ?
je me redressai
-Sa petite amie Vanessa. Depuis que j'ai couché avec elle, elle n’en veut plus… Et puis le public aussi n'en veut plus, Kevin est tellement ennuyeux !
Ils étaient tous pliés en deux cette fois, sauf Kevin qui ne savait pas trop si c’était du lard ou du cochon.
Il ne comprit jamais vraiment, je crois, car tout se passa très vite. Je me plaçai derrière lui ma main gauche fermement posée sur son épaule et sortis le rasoir de ma poche. Je fis briller la lame plein cadre face aux caméras comme on m’avait dit de faire et je lui tranchai la gorge en disant,- Bye bye Kevin. cela n’avait duré que quelques secondes, mais je savais que tout serait filmé sous plusieurs angles puis passé et repassé au ralenti, l’éclat de la lame, la giclée de sang, les yeux révulsés de Kévin, puis en simultané sur l’écran partagé le beau visage triste de Vanessa éliminée du jeu la semaine précédente et sans doute celui de la maman de Kevin. Ce serait le grand moment de cette émission de télé-réalité qui perdait de l’audience au fil des années. Et je savais bien que les gens de la production m’avait infiltré parmi les candidats uniquement pour ça. Ne m’avaient-ils pas dit et répété, - Surtout, surtout, mon petit Brandon, il faut que tu restes toi-même!
Ce que je ne savais pas, c’est qu’il y avait eu juste à l’instant du meurtre un incident technique : dans le car de régie un écran de contrôle avait pris feu et fait sauter tous les circuits : les caméras ne fonctionnaient plus, aucune image n’avait été enregistrée, personne n’avait pu voir la mort de Kevin. Je lui avais tranché la gorge pour rien. C’était une catastrophe !
L’émission fut stoppée aussitôt et on nous sortit de la villa studio où nous étions cloîtrés depuis des semaines. Moi, je fus arrêté sur le champ et interrogé.
Plus tard, j’ai appris que des milliers de téléspectateurs furieux avaient téléphoné ce soir-là. Ce fut un des plus gros ratages de l’histoire de la télé-réalité. Les publicitaires résilièrent leurs contrats. Les cabinets d’avocats appelés en urgence se préparèrent à d’interminables procès : à tous les niveaux, on cherchait des responsables. On pensait à cette époque que La Chaîne ne s’en remettrait jamais.
Quant aux amis de Kevin, ils se consolèrent comme ils purent en répétant partout dans les médias que le jeune homme n’avait pas souffert et qu’heureusement, lui, ignorerait toujours qu’au moment de sa mort il n’était plus filmé.
Bien sûr, je n’avais signé aucun contrat précis. Au procès, j’ai tenu la ligne de défense qu’on avait prévue avec La Chaîne, mon avocat a plaidé un coup de folie mais il n’était pas bon et puis l’opinion publique voulait ma peau comme si j’étais responsable de l’incident technique qui les avait privés d’images. Quand j’ai vu que ça tournait mal, j’ai voulu dire que tout avait été arrangé d’avance avec la Chaîne, mais ça n’a pas pris, ce fut même pire, c’était leur parole contre la mienne: je fus condamné à perpet pour meurtre avec préméditation. Depuis ils ont tourné un film sur cette affaire. Il a fait un tabac au box-office. C’est La Chaîne qui l'a produit. Je n’ai pas touché un centime. Je n’ai pas envie de le voir. Vanessa n’est jamais venue au parloir. Je me pose des questions.
Plan de rigueur
Il dit à son épouse :
- Pour Noël, plutôt que d'offrir des cadeaux, nous ferons de bonnes actions.
Bouffées réactionnaires
La messe n’avait rien gagné à perdre son latin et le tennis ses tenues blanches « de rigueur ». Ces deux activités dominicales de son enfance tiraient l’essentiel
de leurs charmes de ces rites. Tout cela avait de l’allure.
Et il admirait l’allure de Federer venant saluer en costume blanc le duc de Kent après sa victoire à Wimbledon et s’offusquait des biceps dénudés, luisants et, pour tout dire, suspects de Nadal.
Il avait beau être progressiste, moderne, de gauche et tout et tout, il n’en pensait pas moins que le tennis devait être mis hors de portée des camionneurs et le catholicisme revenir à une saine illisibilité plus propice à la foi.
Micro trottoir
Comme elle passait devant une école, on lui demanda ce qu’elle pensait de l'Ecole. Il y avait une caméra, des techniciens impatients et puis tous ces gens, dans la rue, qui la regardaient. Alors, pour ne pas compliquer les choses, elle fit comme si elle avait un gamin dans cette école et elle dit ce qu'elle avait entendu dire depuis des années à la télé, que l'Ecole n'apprenait plus à lire, que les parents avaient peur pour leurs gosses.
Au « 20 heures », le journaliste titra sur l’angoisse des parents et passa la séquence où elle était questionnée.
Le lendemain, dans son allocution télévisée, le Président la cita en exemple:
- Trouvez vous normal, je vous pose la question, que dans l’Ecole de la République, une maman puisse avoir une telle peur ?
Il annonça qu'une commission serait d'urgence réunie pour préparer un "Grenelle de l'enseignement" et qu'une loi serait promulguée pour faire de
l’apprentissage de la lecture un droit opposable.
Assise devant son poste, avec son chat sur ses genoux, elle se sentait un peu gênée que son petit mensonge ait pris une telle importance, mais fière aussi et tout émue d'être devenue la voix de la France.
Ange déféqueur
Lorsqu’il fit des crottes blanches, immaculées, légères et parfumées, il comprit qu’il était devenu un ange.
Emballé, l’étron pouvait se poser à Noël au pied du sapin.