Carnet de santé

Ophtalmo
Un art incertain

Ici pas de foule, tout est calme. Ça change des autres sites de la Biennale. Le début de la visite, à travers les jardins, nous conduit jusqu'au bord du chenal qui donne sur le port de l'Arsenal. Ensuite le chemin bifurque à gauche vers des sortes de hangars. Une jeune femme, qui ne porte pas d'uniforme, s’approche et nous dit très poliment qu’à partir de là, il faut prendre un billet. Elle semble un peu gênée, sans doute à cause de notre âge. Nous pourrions être ses grands-parents. Croit-elle que nous essayons de resquiller? Elle imagine mal ses grands-parents, fervents catholiques, se comporter ainsi. Du coup, nous nous sentons gênés aussi.
Pourtant, nous rebroussons chemin, préférant garder nos sous pour améliorer l’ordinaire du léger repas que nous avons l’habitude de prendre vers midi dans une des petites boulangeries-cafés que la chaine Majer a positionnées dans le centre de Venise. C’est un mode de restauration pratique et de bonne qualité qui nous va bien. Il ne faut cependant pas trop s’écarter au moment de choisir les plats pour rester dans une fourchette de prix raisonnable. Moi, je prends des boulettes de riz aux épinards qui calent bien l'estomac et me permettent de tenir jusqu'à tard le soir. Avec l’argent économisé du billet nous pourrons avoir, en plus, cette fois, une pâtisserie et un café. C'est un bon plan qui nous met de bonne humeur et déjà en appétit.
Et puis, si nous écourtons notre visite, nous arriverons suffisamment tôt au Majer de la Via Garibaldi toute proche, pour espérer pouvoir s'asseoir en terrasse. Il fait beau, ce sera agréable de regarder les gens et les pigeons.
Ainsi, en entrant dans les jardins, j’avais pris en photo ce que je croyais alors être une installation d’artiste. Lorsque j’en ressors, je suis persuadé que ce ne sont que débris amassés puis abandonnés par un employé d’entretien étourdi.
Ai-je raison ou tort?
De retour en France, je me suis reposé la question et après quelques recherches, je n’en sais toujours rien.
Les bouts de bois photographiés faisaient-ils oeuvre? Ou bien l'oeuvre était l’enclos dans lequel j’étais entré pour les photographier? Ou bien encore l'oeuvre était l’enclos et les bouts de bois ensemble? Ou bien quelque chose de plus grand, de plus enveloppant qui nous aurait échappé? Mystère …
Quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde…
Moi, j’avais photographié les résidus.
Un ami à qui je raconte cette mésaventure me sermonne, je te l'ai bien dit, une visite ça se prépare. On ne rentre pas dans un musée comme ça. Ce n’est pas une promenade digestive! Si on ne sait pas ce qu’on va voir, on ne sait pas ce qu’on voit et donc on ne voit rien!
Je laisse dire. Il me plait assez de ne pas savoir vraiment si ce petit tas de bois prêt à partir en fumée est oeuvre de Michael Beutler, artiste berlinois, ou négligent oubli de Guiseppe Giannero, modeste jardinier de la ville de Venise.
Delenda Dingo est

Les statues sortent du fond de la mer, Venise s’y enfonce…Belle idée!
Venise hors les murs

lls furent déçus du voyage organisé à Venise. Trop d’eau! Trop de ruelles piétonnes! Ils ne comprenaient pas que depuis le temps on n’ait pas comblé le Grand Canal pour en faire une large avenue. Trop de maisons délabrées aussi qu’il aurait fallu raser et construire à la place des immeubles fonctionnels. Venise était une ville invivable!
Seule consolation, la demi-journée libre: ils avaient pu visiter la zone commerciale installée le long du périphérique qui contourne la lagune. Ils y découvrirent un Auchan encore plus grand que celui de Saint-Étienne! Là, parcourant les rayons en poussant leur chariot, ils s’étaient sentis comme chez eux.
Ils y avaient acheté des bouteilles de Chianti, celles entourées de paille. Elles feraient de jolis cadeaux à rapporter à la famille et aux amis.
Minuit à Venise

Passé minuit, la place Saint-Marc est presque vide. Encore brillante de la pluie qui est tombée pendant la journée et du halo des réverbères. Un couple chic valse devant le café Florian. Lui droit comme un i, elle penchée sur cet homme petit. Plus loin, de jeunes routards timides les imitent. Je prends des photos, qui ne rendront rien. Instantanés, musiques fugitives. Passé minuit, la place Saint-Marc est presque vide, Venise nous appartient.
In these twilight hours...
Soulage (extrait)
Il y a eu ce chien au pelage noir sorti d’on ne sait où. Qui nous frôla les jambes, puis accompagna notre ballade toute cette fin d’après-midi. C’était le début du printemps, le premier jour de l’heure d’été. Il faisait beau, l’air était doux. Nous marchions sur les chemins qui suivent la ligne de crête, quelque part dans les Monts du Lyonnais.
En fait, le chien, il nous précédait de quelques mètres, se retournant de temps en temps pour voir ou nous en étions. A chaque croisement, quand nous avions pris un chemin différent du sien, il s’arrêtait, relevait la tête, nous regardait, revenait aussitôt vers nous et repartait devant. Nous avons trouvé ça plutôt sympathique et amusant. C’est vrai que les promenades dans cette campagne, depuis le temps qu’on en pratique tous les chemins, sont plutôt ennuyeuses. Tout y est si prévisible.Et cela fait si longtemps qu’un être vivant ne nous a pas témoigné aussi durablement une tel attachement. On s’est pris au jeu: on a décidé de suivre sa trace plutôt que de lui imposer la nôtre.
Va où tu veux bon chien! Sois notre guide, on te suit!
Alors on l’a suivi. S’émerveillant de son obstination à nous conduire et de sa patience à nous attendre lorsque nous nous arrêtions pour nous reposer ou regarder le paysage.
Quand il a pris ce chemin pentu qu’on connaissait mal et qui s’enfonçait dans une forêt de sapin, beaux joueurs, on l’a suivi.
Maintenant que les arbres cachent le ciel, la marche devient plus difficile. C'est une forte descente. On se tord les chevilles sur des cailloux pointus. Le chien a disparu.
Et puis dans la pénombre, soudain, des yeux injectés de sang... Oreilles dressées, poils hérissés, babines retroussées, gueule effrayante ouverte sur de terribles crocs, le paisible chien fait face. C’est un loup.
Perdue de vue
Au matin, on découvre le trou. Un mètre de diamètre environ. Un grand vide, sombre, impressionnant. Dans la nuit une partie de la chaussée s’est effondrée. Sous le bitume, une grande quantité de terre a été emportée. Juste devant la porte du garage de l’auberge « La Gigogne » où, avec les membres de l’association SAS (ski, amitié, scramble), nous avons l’habitude, chaque année, de passer une semaine en mars. C’est la consternation dans le groupe car les trois fourgons blancs qui servent à nous transporter jusqu'au pied des pistes se trouvent bloqués à l’intérieur. Dans la rue, les gens s’arrêtent pour regarder. Il va falloir poser au plus vite des barrières de sécurité.
Ensuite, heureusement, le directeur de l'auberge s’est débrouillé pour se faire prêter d’autres véhicules. Nous arrivons sur les pistes avec du retard, mais, c’est l’essentiel, la journée de ski est sauvée. A notre retour, en fin d’après-midi, tout semble être rentré dans l’ordre, le trou est comblé. Nous pouvons même sentir l’odeur du goudron frais. Seul un tractopelle est resté sur place.
C’est seulement au repas du soir, quand nous passons à table et voyons la chaise vide devant le bol de potage fumant... Mais où donc est passée Henriette?
Cette histoire de trou a en effet perturbé le petit déjeuner et le transport vers les pistes. Personne n’a fait attention, alors, à qui était avec qui. De plus, pendant le ski, comme nous nous partageons en petits groupes par affinités ou par niveaux, chacun a pu penser que la discrète Henriette se trouvait avec d'autres. Mais il faut se rendre à l'évidence, personne aujourd'hui n’a vu Henriette ! Aussitôt Victor et Roger se précipitent vers sa chambre. Le constat est clair : la porte est ouverte, le lit défait, Henriette n’a pas skié de la journée. Henriette a disparu!
Nous nous retrouvons tous maintenant, silencieux, dans la salle à manger.
C’est alors qu’Albertine, l’anxieuse, pense tout haut et très fort, et si elle était tombée dans le trou !
C'est bien possible, précise aussitôt Joséphine, Henriette est insomniaque, il lui arrive assez souvent de sortir la nuit pour aller prendre l’air!
Et le patron de l’auberge d’ajouter, oui, c'est bien possible... Depuis cet hiver, l’éclairage du village s’éteint à minuit !
C’est alors l'affolement général, on prévient le maire, les gendarmes, les pompiers, puis l'entreprise de Travaux Publics qui a comblé le trou. Vers minuit, sous les faisceaux de puissants projecteurs, dans le hurlement des sirènes et le clignotement des gyrophares, face aux caméras de FR3 et de BFMTV, devant un parterre d’officiels en costume ou en uniforme, les ouvriers commencent à creuser et les secours à se préparer. Derrière la fenêtre de sa chambre, vêtue d’une légère nuisette, Albertine regarde. Elle tremble de froid et de peur, je t'aime bien ma petite Henriette, mais, mon Dieu, faites qu’ils te trouvent là, dessous, sinon, moi, de quoi je vais avoir l'air ? Tout ce dérangement pour rien!
Nationale 7
Installation, allée des soupirs, Panissières
Emile, genre vieux-beau, file vers la côte d’Azur pour une énième tournée des grands ducs. Cheveux blancs et clairsemés au vent, écharpe beige au cou, il roule sur la Nationale 7, entre Roussillon et Bollène. Petit cabriolet anglais, rouge, désuet. Ses enfants ont grandi. Les enfants de ses enfants aussi. Il ne se souvient pas des prénoms ni des anniversaires. Il n’a jamais fait beaucoup de cadeaux, ni donné de baisers, ni séché de larmes… Il est un peu à la ramasse, Emile, à contre-temps. Mais libre.
En sens inverse remontant prudemment vers Paris, entre Bollène et Roussillon, voici papy Fernand. Dans sa Skoda Superb, un break gris sérieux. Il revient de vacances. Du Lavandou. Il transporte la dernière génération de la famille, les Amandine, Florian, Gabin, Marianne, Laetitia, Manon. Ça crie, ça rit, ça pleure, ça grimace autour de lui. Et puis il y a les arrêts pipi, les jeux, les taquineries, les bouderies, les petits bisous, les envies de friandises.
Le hasard fait que le vieux-beau et le papy ont choisi, au même moment, la même station-service sur la Nationale 7 pour faire le plein.
Ils remplissent leur réservoir, face à face. Essence contre Diesel enrichi.
Chacun se regarde, Emile, vieux loup solitaire en écharpe de tweed et Fernand, aïeul débonnaire au bermuda fleuri. Voyant l’autre, chacun pense, et si, comme lui, j’avais…Que serait ma vie?
Ensuite ils entrent ensemble dans la boutique Agip et se trouvent côte à côte devant la caisse enregistreuse.
Après, que s’est-il passé? On ne sait trop… Une chose inexplicable. En effet, quand ils sortent, ils ont échangé clés et papiers. Chacun monte dans la voiture de l’autre, comme si de rien n’était. Papy-cadeau dans la Triumph rouge et vieux-beau dans la Skoda grise. Les enfants, qui voient avec des yeux d’enfants, ne s’aperçoivent de rien. ( Pour vous, lecteurs dubitatifs, sachez que le regard des enfants se focalise sur les détails, et comme papy-cadeau et vieux-beau ont un grain de beauté à peu près identique sur la joue droite…).
Dès qu’il pose les mains sur le volant en bois d’acajou du cabriolet, Fernand, a des envies de femmes, d’alcool et d’aventures. Rapide coup d’oeil dans le minuscule rétroviseur intérieur. Se trouve fière allure! A lui, la belle vie!
Pour Emile, c’est quelques heures plus tard, la nuit venant, en réglant la climatisation électronique quadri zones du break Skoda qu’il se sent devenir pleinement pater familias comblé, prêt pour ces longues soirées d’hiver au coin du feu, petits-enfants sur les genoux à qui raconter des histoires d’ogres et de fées… Il était une fois…
Nos deux hommes sont heureux. Echange réussi.
Bon, après, bien sûr, ça se gâte… Dieu qui régit l’ordre des étoiles et des planètes, assoupi pendant le trajet Roussillon – Bollène, se réveille, voit les choses et ne peut les laisser en l’état…
Du côté de la Coucourde, la fragile Triumph fait donc une embardée et se prend de plein fouet la pile d’un pont. Près de Nevers, à Puyloubier pour être précis, la Skoda Superb grise, pneu avant droit éclatant, s’encastre sous un énorme camion. Et 8 morts, d’un seul coup d’un seul, viennent s’ajouter aux statistiques des accidents routiers.
Moralité: quand ta route est tracée, tu dois la suivre.
Cuisine et dépendances
Il s’inquiète de voir exposer des tableaux dans la salle du restaurant. Sa question n’est pas tant de savoir si l’art est cuisine ou la cuisine art. Et qui valorise quoi. A dire vrai, il s’en moque un peu. Il veut connaître combien vont lui coûter les ravioles à la truffe servies à sa belle invitée sous un tableau de Maître.
NB. Excellentes les ravioles ! Et le prix raisonnable…
Le fou de Chaillot
Il ne pouvait croire à cette théorie -fumeuse- sur l'effacement des traces...
Ni au travail de sape d'un déconstructivisme sournois qui, par le haut (c'est dire!), s'attaquerait aux fondements les plus représentatifs de la cité.
Il devait y avoir une explication plus simple. Qu'il chercha en même temps que la sortie.
http://www.citechaillot.fr/fr/musee/galerie_darchitecture_moderne/visite_virtuelle_2/